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Article paru dans le journal du CNRS :

Comment mieux évaluer le travail des élèves ?

18.05.2016, par

Philippe Testard-Vaillant

Des chercheurs testent actuellement, dans 70 collèges et lycées, une alternative au traditionnel système de notation : l’évaluation par compétences. Si les premiers résultats sont prometteurs, l’expérience est bien loin d’être finie. Décryptage.

 

La nouvelle a fait les gros titres de la presse française il y a quelques semaines : une étude scientifique préconiserait l’abandon des notes à l’école. Dans un pays attaché de longue date à la notation de 0 à 20, l’annonce a aussitôt fait l’objet de débats aussi intenses que… prématurés. En effet, les résultats dont les commentateurs se sont emparés ne sont que les tout premiers d’une expérience en cours, menée depuis la rentrée 2014 dans 70 collèges et lycées de l’académie d’Orléans-Tours. Cette étude ambitieuse livrera ses réelles conclusions dans de longs mois, en 2018. Il n’en reste pas moins qu’elle interroge déjà, et dans des proportions inédites, l’évaluation du travail scolaire telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.

Des notes subjectives et anxiogènes

« Contrairement à ce que l’on a pu lire çà et là, notre but n’est pas de faire disparaître la note pour le plaisir de la faire disparaître, mais d’en promouvoir un usage raisonné pour renforcer la qualité des apprentissages, précise d’emblée Alain Diger, doyen des inspecteurs pédagogiques de l’académie et instigateur de cette expérimentation. Une jauge est nécessaire pour les élèves et les parents. Mais la manière dont l’évaluation est pratiquée aujourd’hui dans la plupart des classes est excessivement centrée sur une notation systématique et, à ce titre, archaïque. »

De fait, nombre de travaux en docimologie (science de la notation) montrent que la notation chiffrée pèche par sa subjectivité, la valeur d’un 15, par exemple, variant d’un enseignant à l’autre dans n’importe quelle discipline. Autre biais majeur : la notation, en plus d’être anxiogène, n’est guère informative. « Une note est un indicateur très fruste, explique Alain Diger. Elle sert davantage aux élèves à se situer les uns par rapport aux autres qu’à identifier les points sur lesquels ils doivent concentrer leurs efforts pour progresser. Par ailleurs, la note, en exacerbant la compétition au sein de la classe, véhicule son lot de vainqueurs mais aussi de vaincus. Elle amplifie les inégalités scolaires et renforce le déterminisme social, des effets délétères dont le système éducatif français souffre exagérément. »

Evaluation scolaire
Cours de français dans une classe de sixième. L'étude sur l'évaluation des compétences est menée depuis la rentrée 2014 dans 70
collèges et lycées de l’académie d’Orléans-Tours.
La note amplifie les inégalités scolaires et renforce le déterminisme social.
 

D’où l’idée de tester de la sixième à la seconde un nouveau type d’évaluation à l’échelle d’une académie entière (une première en France !), et de confier la supervision d’une partie de cette expérience à des chercheurs en psychologie pour en mesurer scientifiquement les effets. Conduite auprès d’un échantillon de 1 627 élèves de troisième répartis en deux groupes1 et centrée sur trois disciplines (français, histoire-géographie, mathématiques), l’étude pilotée par Céline Darnon et Pascal Huguet, du Laboratoire de psychologie sociale et cognitive2, et Isabelle Régner, du Laboratoire de psychologie cognitive3, fait la part belle à l’évaluation par compétences.

Le principe de cette approche est de « pointer les acquis des élèves et de focaliser leur attention sur les connaissances et les savoir-faire qui leur restent à acquérir, rappelle Isabelle Régner. Cela les amène à délaisser les stratégies d’apprentissage dites de surface (recours au par cœur, centration sur les contenus les plus importants en vue d’un examen…) au profit de stratégies de profondeur (recherche d’informations complémentaires, point de vue critique sur le contenu des cours…). De même, ils tendent à considérer leurs pairs comme des collaborateurs plutôt que comme des compétiteurs. » La note, enfin, est réduite à la portion congrue. Et celle qui figure dans le bulletin scolaire transmis aux parents à la fin de chaque trimestre n’est plus une moyenne, dont le principe est désormais très contesté, mais un indicateur calculé au vu des compétences acquises.

 

Les effets positifs de l’évaluation par compétences

Les premiers résultats de cette étude en cours permettent d’ores et déjà de dégager quelques conclusions. Dont ce constat : l’évaluation par compétences produit des effets positifs en mathématiques, où les élèves cherchent moins à se comparer. Et, lorsqu’elle est mise en place de manière collective et concertée entre enseignants, les élèves réussissent mieux les épreuves standardisées du brevet. Autre effet avéré, toujours en mathématiques : l’écart entre élèves de milieux favorisés et élèves de milieux défavorisés a fondu de moitié (3 points de différence dans le groupe expérimental, contre 6 points dans le groupe témoin). « Cela est assez phénoménal si l’on veut bien se souvenir qu’aucune réforme du système éducatif, au cours des trente dernières années, n’est parvenue à un tel résultat, commente Pascal Huguet. L’évaluation par compétences semble à même d’aider l’ascenseur social à redémarrer », sachant que la France est le pays où l’influence de l’origine sociale des élèves sur leurs performances scolaires est la plus marquée.

Le retrait, voire la suppression des notes, ne signifie pas la fin de l’évaluation.
C’est même presque l’inverse.
 

Le procédé exerce en outre une influence bénéfique sur tous les élèves, quel que soit leur niveau. Autrement dit, il n’entraîne pas les meilleurs vers le bas. En revanche, son efficacité est moins nette en histoire-géographie et indétectable en français pour des raisons qui restent à élucider. « Le retrait, voire la suppression des notes, ne signifie pas la fin de l’évaluation, comme certains croient pouvoir l’affirmer, insiste Céline Darnon. C’est même presque l’inverse. Cette méthode, qui se traduit souvent par un surcroît de travail pour les enseignants et exige qu’une culture de collaboration et d’échange se développe entre eux, génère une évaluation bien plus informative pour l’élève qui sait clairement et constamment où il en est. »

Reste que les premières conclusions des chercheurs, aussi stimulantes et utiles soient-elles pour faire sortir la question de l’évaluation de l’enclos de l’opinion, et l’installer dans le champ des sciences, demandent à être confirmées. L’expérience menée l’an dernier dans l’académie d’Orléans-Tours n’est que le premier étage d’une fusée dont la mission se poursuivra jusqu’en 2017. L’année scolaire 2014-2015 a été « une année pilote, dit Pascal Huguet. Cette phase 1, avec son lot d’imperfections liées notamment au manque de formation de certains professeurs à l’évaluation par compétences, nous a permis d’engranger 800 000 données, mais peu de certitudes. Nous restons par conséquent prudents et sommes les premiers à dire :“Cette expérimentation est encourageante, mais il est indispensable de la répliquer pour s’assurer de la solidité des effets observés et disposer de mesures complémentaires aux épreuves standardisées du brevet” ».

Evaluation scolaire
Cette professeure d’anglais remplit une fiche individuelle d’acquisition des compétences.

 

L’année scolaire 2015-2016, dans cette optique, se veut une année de maturation. L’occasion pour les enseignants d’histoire-géographie et de français impliqués dans l’étude de remettre sur le métier leurs pratiques pédagogiques et d’en imaginer de nouvelles, en phase avec les exigences de l’évaluation par compétences. « Nous voulons homogénéiser la population enseignante pour ne pas nous retrouver avec, d’un côté, des professeurs qui ont déjà une grande habitude de cette méthode et, de l’autre, des enseignants qui la découvrent ou ne la maîtrisent pas suffisamment, explique Isabelle Régner. C’est pourquoi, tout au long de cette année, nous laissons les professeurs les moins expérimentés se familiariser avec cette alternative à la note. À la rentrée prochaine, une fois que ces derniers seront pleinement opérationnels, nous réactiverons le dispositif méthodologique que nous avons élaboré et que nous aurons, entre-temps, perfectionné. »

 

Rendez-vous en 2018 pour les résultats définitifs

L’expérimentation parvenue à son terme à la fin de l’année scolaire 2016-2017, et la masse de données recueillies une fois traitée, les chercheurs seront en mesure de savoir si l’évaluation par compétences, à défaut d’être la panacée à tous les maux de l’école, offre à davantage d’élèves la possibilité de progresser non seulement en mathématiques, mais aussi en histoire-géographie et en français. De même espèrent-ils extraire des filets de cette seconde expérience in collegio des données relatives à l’impact de ce mode d’évaluation sur des compétences transversales (maîtrise de l’oral, capacité à s’intégrer dans un travail collectif, conduite de projet…).

Demain, la pédagogie sera assistée par des machines qui délivreront non pas des notes, mais des évaluations-diagnostics extrêmement fines.
 

Viendra, enfin, l’heure de publier, sans doute fin 2018. L’ambition des chercheurs, sur ce plan, est double. D’une part, rendre compte de leur expérimentation dans une revue faisant autorité en matière d’éducation, telle que le Journal of Educational Psychology, et apporter ainsi une « touche française » à un débat qui a cours en ce moment en Europe et ailleurs dans le monde. D’autre part, rédiger un rapport en français à destination des acteurs du terrain éducatif (ministère, corps d’inspection, chefs d’établissement, professeurs, ESPE4…). Ce document explicitera la méthodologie employée et détaillera les résultats d’une manière plus abordable qu’un article destiné à une publication scientifique internationale.

Par ailleurs, l’évaluation par compétences devrait croiser à brève échéance la route des nouvelles technologies. « La révolution numérique a commencé de traverser l’école et ce tropisme va nécessairement s’intensifier, assure Pascal Huguet. Demain, la pédagogie sera massivement assistée par des machines qui délivreront non pas des notes, mais des évaluations-diagnostics extrêmement fines et recentreront l’élève sur certains apprentissages. Dans ce nouveau paysage scolaire, les professeurs seront toujours indispensables car ce sont eux qui auront, entre autres, à concevoir les contenus des ressources numériques mises en ligne. Mais ce jour-là, la note appartiendra à la Préhistoire… »

 

Notes
  • 1. L’un soumis à une évaluation classique par notes (classes du « groupe témoin »), l’autre à nouveau type d’évaluation (classes du « groupe expérimental »).
  • 2. Unité CNRS/Univ. Blaise Pascal.
  • 3. Unité CNRS/Aix-Marseille Univ.
  • 4. Écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

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